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Violences des antifas à Toulouse : banalisation et euphémisation des médias de grand chemin

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19 février 2020

Temps de lecture : 7 minutes
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Violences des antifas à Toulouse : banalisation et euphémisation des médias de grand chemin

Temps de lecture : 7 minutes

Mercredi 12 février 2020, une conférence sur le thème du courage en politique était organisée à Toulouse. Le maire de Béziers Robert Ménard et l’essayiste François Bousquet devaient l’animer. Cette réunion publique a été fortement perturbée par des militants d’extrême gauche. Les violences commises à cette occasion viennent après d’autres, qui illustrent un recul de la liberté d’expression en France. La réaction des médias de grand chemin a été particulièrement atone à ce sujet.

La couverture par la presse locale, renversement accusatoire

La Dépêche retient que « la con­férence de Robert Ménard (a été) per­tur­bée à Toulouse » et que « la société de loca­tion va porter plainte ». En lisant l’article, on en retient que l’action vio­lente des « mil­i­tants antifas­cistes » (traduire : les casseurs) est au moins aus­si choquante que les pro­pos (« on est chez nous ») tenus par cer­tains par­tic­i­pants une fois libérés de la salle de réu­nion par la police. On apprend égale­ment que la société qui gère la salle louée pour l’occasion s’estime « dupée sur l’identité des organ­isa­teurs ». « Notre avo­cat est en train de rédi­ger une plainte », affirme un de ses représen­tants en con­clu­sion. L’attaque des mil­i­tants d’extrême gauche est présen­tée par le jour­nal­iste sur un mode imper­son­nel : « la con­férence a été per­tur­bée », sans que l’on sache qui a causé les trou­bles. En lisant l’article, les fau­tifs sem­blent être autant ceux qui ont voulu empêch­er la réu­nion par la vio­lence que ses organ­isa­teurs. C’est ce que l’on appelle un beau ren­verse­ment accusatoire.

Le Midi Libre titre sur « les antifas­cistes s’invitent à la con­férence de Robert Ménard ». On pour­rait presque se réjouir de cette ouver­ture d’esprit. Il faut lire l’article pour appren­dre qu’en fait d’invitation, « ils ont ten­té d’interrompre l’événement ». Mal­gré l’information sur des jets de pro­jec­tiles (poubelles et chais­es de com­merces voisins) sur le per­son­nel de sécu­rité, l’article est neu­tre et ne com­porte aucune forme de réprobation.

Ouest-France nous informe qu’à Toulouse, « des affron­te­ments écla­tent avant une con­férence avec Robert Ménard, qui annule sa venue ». On croirait lire un bul­letin météo : les « affron­te­ments » écla­tent comme un orage, comme un phénomène naturel. Si on apprend que « des heurts ont éclaté sur place avec des mil­i­tants d’extrême gauche venus per­turber l’événement », l’euphémisation de la vio­lence est man­i­feste : on ne peut que saluer les prouess­es du jour­nal­iste pour éviter de nom­mer sans équiv­oque les agresseurs et les agressés et ne pas employ­er la forme active qui serait sans nul doute trop agres­sive pour les lecteurs du quotidien.

La couverture par les médias nationaux, discrétion ou « face à face »

Les médias nationaux de grand chemin sont très dis­crets sur cet événe­ment. Il faut lire ceux qui ont une ligne édi­to­ri­ale qui échappe au poli­tique­ment cor­rect pour être infor­mé de la teneur exacte des événements.

Valeurs actuelles fait excep­tion et met les pieds dans le plat en titrant : « Des antifas ten­tent vio­lem­ment d’empêcher une con­férence de Robert Ménard ». Un sujet (les antifas), un verbe qui pré­cise le car­ac­tère vio­lent de leur action, un com­plé­ment pour pré­cis­er l’événement. L’explication don­née à ces vio­lences est présen­tée dès le début de l’article : il s’agissait d’empêcher le maire de Béziers et l’essayiste François Bous­quet de s’exprimer.

L’Incorrect par­le d’une « attaque d’une con­férence de Robert Ménard et de François Bous­quet » et l’illustre par une pho­to d’une scène d’émeute urbaine avec un début d’incendie. Le mag­a­zine qual­i­fie l’action du « groupe d’activistes de la gauche rad­i­cale » d’« attaque très vio­lente ». On est loin de la cou­ver­ture des médias locaux dont il ressort tout au plus quelques feux de poubelle et des jets de chais­es. « Auriez-vous le mal­heur de vous défendre que la presse Baylet et le groupe France 3 Occ­i­tanie feraient de vous leur agresseur ». L’Incorrect rap­pelle l’incroyable com­plai­sance de France 3 vis-à-vis des antifas à l’occasion d’un reportage sur ces mil­ices qui « sur­veil­lent et s’informent sur les groupes d’extrême droite toulou­sains ». Présen­té de cette façon, on serait presque ras­surés de ce rôle de vigie… Le mag­a­zine est bien seul à rap­pel­er les récentes exac­tions des antifas à Toulouse : man­i­fes­ta­tion con­tre une crèche vivante à Noël, agres­sion de mil­i­tants du Rassem­ble­ment nation­al sur une place de la ville, actions vio­lentes lors des manifestations.

La palme de l’euphémisation revient à France 3 Occ­i­tanie : les vio­lences à l’encontre des agents de sécu­rité sont des « inci­dents » et l’agression des antifas n’est plus finale­ment qu’un « face à face  entre mil­i­tants antifas­cistes et mem­bres d’extrême droite ». Plus d’agresseurs ni d’agressés, mais un « face à face » qui opposerait des mil­i­tants rad­i­caux. Le choix des mots a encore une fois toute son impor­tance : les mil­i­tants « antifas­cistes » sont cen­sés défendre une cause noble, la lutte con­tre le total­i­tarisme, tan­dis que le terme de « mem­bres d’extrême droite » évoque un extrémisme dan­gereux. Le point God­win est presque atteint. Encore un effort, cama­rade jour­nal­iste ! Sans sur­prise, Robert Ménard est qual­i­fié de « maire d’extrême droite ». On apprend en con­clu­sion de l’article que cette action s’inscrit dans le cadre d’une « guerre con­tre les grou­pus­cules d’extrême droite qui font leur réap­pari­tion dans la ville rose ». France 3 donne toute­fois la parole à Robert Ménard qui men­tionne des précé­dents avec Alain Finkielkraut et Syl­viane Agacin­s­ki. Ce qui nous amène, en l’absence d’informations plus com­plètes à ce sujet dans les médias de grand chemin, à inscrire ces événe­ments dans un con­texte plus large.

De nombreux précédents

Il y a près d’un an, l’OJIM con­sacrait un arti­cle au recul de la lib­erté d’expression, avec des cen­sures plus ou moins assumées d’intellectuels « déviants ». Ces derniers mois, plusieurs événe­ments mon­trent que la restric­tion de la lib­erté d’expression a mon­té d’un cran : out­re des annu­la­tions de con­férences, il s’agit désor­mais égale­ment d’actions vio­lentes de la part des très mal nom­més « antifas ». La liste dont font état, tou­jours ponctuelle­ment, les médias est longue :

  • une pièce de théâtre d’Eschyle empêchée à la Sor­bonne en mars 2019,
  • une con­férence de Syl­viane Agacin­s­ki sur le Pro­créa­tion Médi­cale­ment Assistée (PMA) annulée en octo­bre à Bordeaux,
  • la Nou­velle librairie à Paris une nou­velle fois attaquée en octo­bre par des « nervis d’extrême gauche »,
  • un sémi­naire ani­mé par Mohamed Sifaoui sur la préven­tion de la rad­i­cal­i­sa­tion qui devait avoir lieu à la Sor­bonne en octo­bre sus­pendu sous la pres­sion de syn­di­cats étudiants,
  • une con­férence de François Hol­lande per­tur­bée en novem­bre à l’université de Lille 2 et ses livres arrachés,
  • une réu­nion le 27 novem­bre d’une asso­ci­a­tion à Rennes où des étu­di­ants sont agressés par des mil­i­tants d’extrême gauche dans un bar et un par­tic­i­pant brûlé à l’acide,
  • une crèche vivante à Toulouse que des « injures et des bous­cu­lades » ont con­traints d’interrompre en décembre,
  • un bus de pèlerins attaqué à Pont­main (Mayenne) en jan­vi­er 2020 par plusieurs indi­vidus cagoulés qui croy­aient que celui-ci se rendait à la man­i­fes­ta­tion con­tre la PMA,
  • un can­di­dat du Rassem­ble­ment nation­al agressé le 9 jan­vi­er 2020 encore à Toulouse, sur un marché.

Si cette liste non exhaus­tive est déjà longue, elle s’ajoute aux vio­lences qua­si sys­té­ma­tiques des antifas à l’occasion de man­i­fes­ta­tions dans les grandes villes. Une réal­ité dont l’OJIM avait évo­qué en novem­bre l’étrange impunité poli­cière et la plus que dis­crète cou­ver­ture jour­nal­is­tique. Dans ces con­di­tions, comme l’évoque François Bous­quet inter­viewé après les événe­ments, c’est un « un sen­ti­ment d’impunité » qui s’installe face à des vio­lences prévis­i­bles, qua­si­ment annon­cées dans les réseaux soci­aux. Math­ieu Bock-Côté analyse de façon éclairante dans un bil­let paru dans le Figaro du 15 févri­er la vio­lence des « antifas ». Il pointe la men­ace pour la démoc­ra­tie que con­stituent ces « mil­ices idéologique­ment intox­iquées qui se don­nent le droit de per­turber la vie sociale et d’agresser physique­ment ceux qui ont le mau­vais gout de les con­tredire ». Math­ieu Bock-Côté, François Bous­quet, ils sont bien rares ceux qui dénon­cent l’étrange « man­sué­tude  jour­nal­is­tique » vis-à-vis de ces agres­sions à répétition.