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Coronavirus, bobards gouvernementaux et “fact checking”

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3 août 2020

Temps de lecture : 9 minutes
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Coronavirus, bobards gouvernementaux et “fact checking”

Temps de lecture : 9 minutes

[Pre­mière dif­fu­sion le 13 avril 2020]

Face à l’épidémie de coronavirus, les autorités communiquent abondamment et finissent par dire tout et son contraire. Qu’en disent les traqueurs de « fake news », Checknews de Libération, le fact-checking par l’AFP et Les Décodeurs du Monde ? Globalement, si on examine les bobards gouvernementaux, ces médias semblent assez peu bavards dans l’ensemble, même si Libération s’en sort moins mal que les autres. Avec l’OJIM, fact-checkons les “fact-checkers” en revenant sur cinq bobards.

1. “C’est une petite grippe, ça va passer, continuez à sortir”

Avant le réel début de l’épidémie en France, était repris le refrain “c’est une petite grippe, ça va pass­er, con­tin­uez à sor­tir”. Fréquem­ment répété sur les plateaux de télévi­sion au début de l’épidémie, une grande par­tie du gratin médi­a­tique s’est fait l’écho de cette pos­ture, dont Michel Cymes, à qui cela a valu un flot de critiques.

Cette insou­ciance s’est incar­née dans un tweet d’Emmanuel Macron du 11 mars :

Quelques jours plus tôt le Prési­dent était allé au théâtre avec Brigitte, “pour inciter les Français à sor­tir mal­gré le coro­n­avirus”.

Le 15 mars, peu avant le début du con­fine­ment, les parisiens s’étaient mas­sive­ment regroupés dans les parcs alors que le risque était de plus en plus grand, engen­drant a pos­te­ri­ori, des fortes cri­tiques du Prési­dent à leur encon­tre. Au même moment, Brigitte Macron aus­si était de sor­tie dans les rues parisi­ennes cette après-midi.

Les Décodeurs du Monde sont revenus le 10 mars sur cette ques­tion du coro­n­avirus qui ne serait qu’un “gros rhume mon­té en épin­gle”, dis­ant qu’il n’est pas appro­prié de le con­sid­ér­er ain­si. Mais, en évo­quant le gou­verne­ment, au lieu de par­ler des min­imi­sa­tions de l’épidémie par ce dernier, ils rela­tent les paroles de l’infectiologue François Bricaire qui con­sid­ère qu’il en fait “prob­a­ble­ment un peu trop” (!).

2. “Pas de défaut d’anticipation concernant cette crise”

Autre refrain, directe­ment pronon­cé par Sibeth N’Di­aye, porte-parole du gou­verne­ment, le 23 mars :

D’ailleurs, ce n’est pas le min­istre de la san­té qui dira le con­traire, le 10 mars, il affirme “[qu’]il n’y a pas de pénurie de masques”.

Une semaine avant, Libéra­tion avait bien démon­tré le manque d’anticipation quant aux masques. Après la com­mande mas­sive de ces derniers pour la grippe avi­aire en 2005, il a été décidé par les gou­verne­ments suc­ces­sifs de ne pas renou­vel­er les stocks. Le choix a été fait de “désor­mais se réap­pro­vi­sion­ner en cas de besoin, en comp­tant sur les expor­ta­tions chi­nois­es et les forces de pro­duc­tion français­es”.

Sans oubli­er Agnès Buzyn qui a déclaré, le 17 mars :

Quand j’ai quit­té le min­istère [le 16 févri­er 2020], je pleu­rais car je savais que la vague du tsuna­mi était devant nous.”

Pour­tant, mi-févri­er, peu de mesures dras­tiques étaient pris­es pour anticiper.

N’oublions pas non plus les sup­pres­sions de postes prévues dans cer­tains CHRU, comme celui de Nan­cy. Objet d’une ques­tion à Check­news de Libéra­tion, le 8 avril, l’article rap­pelle qu’il était bien prévu, en “appli­ca­tion du pro­jet stratégique du CHRU de Nan­cy pour revenir à l’équilibre financier, validé en 2019 par le Comité inter­min­istériel de per­for­mance et de la mod­erni­sa­tion de l’offre de soins hos­pi­tal­iers (Cop­er­mo)”, de sup­primer “179 lits et 598 postes en équiv­a­lents temps plein d’ici 2024”. Une manière par­ti­c­ulière d’an­ticiper une pos­si­ble crise.

Libéra­tion évoque aus­si, le 15 mars, les élec­tions munic­i­pales que le gou­verne­ment avait décidé de main­tenir, en accord “avec une déci­sion du con­seil sci­en­tifique”.

Con­cer­nant les tests de dépistage, Olivi­er Véran assur­ait le 9 mars, que la France en pra­ti­quait plus, par rap­port à l’Italie :

Si l’Italie a un taux de mor­tal­ité qui est élevé, c’est qu’ils tes­tent moins. Moins vous testez de malades, plus vous passez à côté de patients qui ne sont pas ou peu symp­to­ma­tiques, et donc plus les malades sévères vont représen­ter une pro­por­tion impor­tante des gens que vous avez dépistés. En France, on dépiste plus large. Depuis le début, j’ai demandé à ce qu’on teste plus large que les recom­man­da­tions de l’Organisation mon­di­ale de la san­té. Un exem­ple : j’ai demandé à ce qu’on teste tous les malades de réan­i­ma­tion qui ont des trou­bles res­pi­ra­toires ou une fièvre inexpliquée.”

Men­songe sur lequel est revenu Libéra­tion, le 10 mars. Dans l’absolu, l’Italie teste plus et “con­traire­ment à ce que sug­gère Olivi­er Véran, l’Italie a procédé dès le début de la crise à un très grand nom­bre de tests, sur des pro­fils très peu ciblés, allant au-delà de ce qu’a fait la France”.

Pas de signe de vie de l’AFP ou du Monde con­cer­nant ce sujet.

3. “La fermeture des frontières n’est pas utile”

Ce bobard a été forte­ment sym­bol­isé par une déc­la­ra­tion d’Agnès Buzyn, le 20 jan­vi­er :

C’est France Info qui s’est occupé de dire si cela était “vrai ou fake”, le 9 mars. Le média n’a rien trou­vé à redire aux pro­pos de la min­istre, argu­men­tant qu’à l’époque, le “risque d’im­por­ta­tion était estimé entre 5% et 13%”.

Lorsque Marine Le Pen a réclamé la fer­me­ture de ces dernières fin févri­er, Le Monde a attaqué ses dires, tout en rap­pelant les pro­pos du directeur de l’Institut de san­té glob­ale à l’université de Genève, jugeant que c’était “inef­fi­cace et illu­soire”.

Macron a iro­nisé sur ses pro­pos en dis­ant le 27 févri­er : “N’en déplaise à cer­tains, le virus ne con­naît pas ces lim­ites administratives.”

Sibeth Ndi­aye, de son côté, a déclaré le 12 mars :

man­i­feste­ment cela n’est pas ce qui a freiné l’épidémie [la fer­me­ture des fron­tières] (…). Dès lors qu’il était pos­si­ble d’effacer la trace de la fièvre en prenant des médica­ments antipyré­tiques, c’est-à-dire per­me­t­tant de lut­ter con­tre la fièvre, c’est une mesure qui n’a pas d’intérêt (…) La fer­me­ture de ses fron­tières (ital­i­ennes) avec la Chine n’a pas per­mis de frein­er l’épidémie.”

Le 13 mars, Olivi­er Véran abondait tou­jours dans le même sens :

Fer­mer les fron­tières, une réponse qui sci­en­tifique­ment n’a pas d’intérêt.”

L’histoire leur aura finale­ment don­né tort, puisque le 17 mars, l’Union européenne ferme ses fron­tières extérieures. Celles de la France restent ouvertes, con­traire­ment à ses voisins, “avec des con­trôles ren­for­cés pro­longés jusqu’au 30 octo­bre 2020.” L’AFP se con­tente de le rap­pel­er dans un arti­cle de “fact-check­ing” du 4 avril. Pas d’article ultérieur pour Libéra­tion ou Le Monde.

Mais Emmanuel Macron a peut être changé d’avis entre temps, puisqu’il déclare finale­ment le 31 mars :

Le jour d’après ne ressem­blera pas au jour d’avant. Nous devons rebâtir notre sou­veraineté nationale et européenne.”

4. “Nous suivons les recommandations scientifiques”

Vrai dans de nom­breux cas, un arti­cle d’Alex­is Toulet pub­lié sur Ago­ra Vox nous rap­pelle que ce n’est pas tou­jours le cas. Macron déclarait le 16 mars :

Les déci­sions ont été pris­es avec ordre, pré­pa­ra­tion, sur la base de recom­man­da­tions sci­en­tifiques avec un seul objec­tif : nous pro­téger face à la prop­a­ga­tion du virus.”

Les déci­sions pris­es com­pre­naient, entre autres, le fait de main­tenir “toutes les activ­ités économiques qui ne peu­vent être organ­isées en télé­tra­vail”. Le jour même, le con­seil sci­en­tifique pub­li­ait un avis où il était men­tion­né : “seules doivent per­sis­ter les activ­ités stricte­ment néces­saires à la vie de la Nation”.

Aucun “fact-check­ing” des grands médias sur cette approximation.

5. “Porter un masque n’est pas nécessaire”

Dernier grand bobard, qui a d’ailleurs par­ti­c­ulière­ment mécon­tenté les Français, puisqu’ils sont “76 % à penser que le gou­verne­ment leur a men­ti”, celui sur le port du masque.

Le 26 jan­vi­er, Agnès Buzyn déclare de manière caté­gorique que cela était “totale­ment inutile”.

Olivi­er Véran abonde encore dans son sens, un mois après :

Aujourd’hui comme demain, une per­son­ne asymp­to­ma­tique [sans symp­tôme] qui se rend dans des lieux publics, qui se déplace dans les trans­ports en com­mun, n’a pas à porter de masque… ce n’est pas nécessaire.”

L’AFP évoque le sujet le 2 mars, par le biais de la ques­tion de savoir si il était recom­mandé ou non de se ras­er pour se pro­téger du coro­n­avirus, en men­tion­nant que “le port des masques n’est recom­mandé que pour une pop­u­la­tion bien pré­cise : les pro­fes­sion­nels au con­tact de malades ou les per­son­nes présen­tant des symp­tômes. Les autorités de nom­breux pays ne cessent d’ailleurs de martel­er que le port de masques est inutile en dehors de ces cas et que leur achat en masse fait courir un risque de pénurie pour ceux qui en ont réelle­ment besoin.” Les Décodeurs ont repris plus briève­ment ce sujet de la barbe et du masque, quelques jours plus tôt, et don­né les mêmes informations.

Le 13 mars, c’est Édouard Philippe qui main­tient tou­jours cette ligne :

Le port du masque, en pop­u­la­tion générale dans la rue, ça ne sert à rien.”

Deux jours plus tard, Alexan­dre Mignon, pro­fesseur de médecine spé­cial­iste en réan­i­ma­tion à l’hôpital Cochin, affirme que “le port du masque pour­rait être extrême­ment utile pour ren­forcer les mesures de confinement.”

Pour­tant le 17 mars, l’AFP répète encore que masques et gants sont inutiles.

Pas de change­ment du côté du gou­verne­ment non plus. Sibeth Ndi­aye déclare le 25 mars :

Il n’y a pas besoin d’un masque quand on respecte la dis­tance de pro­tec­tion vis-à-vis des autres.”

Édouard Philippe, le 1er avril est tou­jours sur la même ligne (le 31 mars, un sci­en­tifique chi­nois avait déclaré que ne pas porter de masque était une “grave erreur”) :

Il n’y a pas de preuve que le port du masque dans la pop­u­la­tion apporterait un béné­fice. Ce serait même plutôt le con­traire, à cause d’une mau­vaise utilisation.”

Et soudaine­ment, le 3 avril, Jérôme Salomon se met à déclar­er :

Nous encour­a­geons le grand pub­lic, s’il le souhaite, à porter […] ces masques alter­nat­ifs qui sont en cours de production.”

Après tant de men­songes, quel “fact-check­ing” des déc­la­ra­tions gou­verne­men­tales ? Le 2 avril, Medi­a­part sort une enquête à charge con­tre le gou­verne­ment sur ce sujet, inti­t­ulée “Masques : les preuves d’un men­songe d’État”. 20 Min­utes écrit aus­si un arti­cle retraçant le “volte-face” du gou­verne­ment.

Du côté de nos grands décodeurs de ser­vice, ils sont peu bavards, Libéra­tion évoque surtout le port du masque dans le monde, et un peu, les déc­la­ra­tions du gou­verne­ment. L’AFP évoque timide­ment le sujet en se deman­dant si les “masques faits mai­son” sont effi­caces ou non. Le Monde men­tionne le “virage à 180 degrés” du gou­verne­ment puis met en avant leurs argu­ments pour l’expliquer en le jus­ti­fi­ant, “la pri­or­ité était de fournir les per­son­nes en pre­mière ligne, les soignants”. Mi-mars, ils s’étaient abon­dam­ment faits les relais du gou­verne­ment, en met­tant en avant l’argument selon lequel, “tout le monde n’a pas besoin d’un masque”. Com­pliqué de se “fact-check­er” soi-même…