La « revanche » des villes moyennes, une prophétie loin d’être accomplie

Hugo Soutra
2 commentaires

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ricosinger - 22/06/2020 08h:08

bonjour, je suis étonné dans cet article qu'il n'y ait pratiquement aucune allusion, dans la mort des centres ville, sur l'impact des grandes surfaces et des "guerres" qu'elles mènent depuis des années pour prendre des parts de marché contre les plus petits. Il ne faut pas être un grand économiste pour voir que ce qui a fait mourir les petits commerces et les petites boutiques, c'est le développement des grandes surfaces et des zones commerciales installées en périphérie et qui pratiquent depuis des années une concurrence féroce dans tous les domaines. Je pense qu'il faille regarder le vrai problème en face, il y a longtemps que les petits commerces ne font plus le poids face à ces géants...

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Aurélien Hélias - 22/06/2020 12h:17

Bonjour, vous trouverez de nombreux autres articles sur cette thématique, traitant de l'impact des grandes surfaces, comme ceux-làn: - Vers un moratoire limitant l’extension de la grande distribution ? - « L’urgence ? S’attaquer à la culture de la périphérie et réguler l’e-commerce » - Urbanisme commercial : la douce révolte contre l’étalement urbain merci de l'attention que vous portez à notre titre, la rédaction.

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La « revanche » des villes moyennes, une prophétie loin d’être accomplie

Centre-bourg Viviers, Ardèche

Les villes petites et moyennes en cours de dévitalisation sortiront-elles gagnantes de la crise sanitaire ? Certains acteurs attribuant une partie de leurs maux aux métropoles voisines rêvent de saisir leur chance pour rééquilibrer la politique d'aménagement du territoire. En réalité, le défi s’annonce complexe à relever, ne serait-ce que pour aider les petits commerces de centres-villes moribonds, fortement pénalisés par le confinement, à se relever. D’autant plus, craignent d’autres, si le plan Action Cœur de Ville s’avérait dénaturé pour porter la politique de relance qui s'esquisse...

A quoi ressembleront les centres-villes du « jour d’après » ? Inspirés par la fuite d’une partie des élites urbaines au début du confinement, alléchés depuis par les prédictions d’agences immobilières comme les spéculations de la presse économique et immobilière (voir encadré), plusieurs élus de villes moyennes, collapsologues, éditorialistes, philosophes et dirigeants d’écoles de commerce les imaginent déjà revivre de nouveau une fois le confinement levé. Et même plus intensément qu’avant.

La crise sanitaire a mis en lumière les failles et vulnérabilités d’une mondialisation dérégulée mais aussi et surtout, les concernant, de son pendant urbain – la métropolisation. Dès lors, l’afflux d’entreprises et de cadres supérieurs las des grandes villes devenues dangereuses pour la santé en plus d'être hors-de-prix, ou de jeunes familles disposant du pouvoir d’achat nécessaire pour faire revivre les commerces de leurs centres historiques peu animés, ne serait plus qu’une question de semaines ou de mois. Si, si. Cette pandémie devrait permettre aux maires de concrétiser leurs ambitieuses politiques de peuplement à l’issue de la crise, espèrent-ils en chœur...

 Vers un "exode urbain", vraiment ?

Qu’une partie des citadins aisés à la recherche d’une meilleure qualité de vie songent à rallier définitivement leurs maisons secondaires, puis qu’ils soient imités par d’autres ménages parisiens, lillois, bordelais ou rennais capables de télétravailler, est probablement une réalité. De là à ce qu’une majorité d’urbains se laissent convaincre par cette mise au vert, c’est une autre histoire, dont le caractère partiel ou définitif reste encore bien difficile à estimer.

Une seule chose semble sûre, pour l’heure : les tenants d’un prolongement durable de cet « exode urbain » ne pourront pas s’épargner une réflexion structurelle sur les causes – profondes – de leurs difficultés actuelles et passées. La dégradation de la qualité de vie locale, le manque de services publics comme de services de proximité, d’emplois attractifs aussi, ou bien encore l’insuffisance de l’offre de transports représentent autant de freins au « retour à la nature » tant espéré.

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Développées par et pour des automobilistes, les villes moyennes – en proie à un étalement urbain non-contrôlé – souffrent depuis plusieurs décennies. S'il reste aujourd'hui un peu de trafic automobile sur les rocades de Morlaix, Mulhouse en passant par Périgueux, Pamiers ou Alès, leurs "cœurs de ville" ne battent plus franchement. Avant la crise, des commerces indépendants ferrmaient déjà les uns après les autres, sous l’effet du déménagement des familles de classes moyenne ou supérieure comme des entreprises et des emplois. Voire même parfois du déplacement des services publics en périphérie. Là même où des zones commerciales flambant neuves et autres « retails parks » – plus proches des lotissements nouvellement sortis de terre – ouvraient année après année...

Une crise sanitaire, mais aussi économique

Ce tableau général, bien que déjà assez sombre, mérite désormais d’être complété par la situation des dernières semaines de confinement, qui pourrait là aussi changer quelque peu la donne. Si les hypers et supermarchés ont pu maintenir leurs activités et conserver leurs parts de marchés durant ce confinement, la reprise n’aura rien d’un long fleuve tranquille pour les petits commerçants, artisans et indépendants (hôtels, bars, cafés et restaurants) justement basés dans les centres-villes. Personne ne peut nier l’existence d’un risque qu’une crise économique et sociale terrible ne succède à la crise sanitaire. Or, la mort de ces commerces de « seconde nécessité » – librairies, épiceries, coiffeurs, fleuristes, etc – qui ne font plus que vivoter n’améliorerait probablement pas l’attractivité de toutes ces villes moyennes dévitalisées rêvant de retrouver leur niveau d'habitants d'antan.

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Bonne nouvelle, toutefois : 222 d’entre elles devraient bénéficier des 5 milliards d’euros annoncés en 2018 par le gouvernement pour son programme de revitalisation « Action Cœur de ville », tandis que  près d’un millier de communes de moins de 20 000 habitants pourraient profiter à terme du plan « Petites villes de demain », non chiffré. Reste  à savoir comment ces programmes nationaux seront articulés et comment ces sommes seront-elles dépensées…

Conscient du poids du BTP dans l’économie locale – pourvoyeur de nombreux emplois – et nationale, ainsi que du levier de croissance que représente l’investissement public local – à fortiori en temps de crise –, le préfet Rollon Mouchel-Blaisot, ancien directeur de l’Association des maires de France (AMF) et aujourd’hui en charge du programme « Action cœur de ville » , plaide pour sa mise en œuvre immédiate.

[caption id="attachment_87522" align="aligncenter" width="800"] Extrait d'un mail d'Action Coeur de ville du 31 mars 2020.[/caption]

Dans un mail envoyé fin mars aux élus et chefs de projets concernés, lorsque la majorité d’entre eux géraient la crise en mode dégradé, il leur a intimé de lui faire remonter « un maximum d’actions (…) qui soient administrativement et techniquement prêtes à démarrer dès cet été, prioritairement celles ayant un impact économique et social certain. » Objectif ? « Faire repartir, fortement, vite et partout, l’activité économique. » Et tant pis si la moitié des 222 territoires théoriquement bénéficiaires n’ont toujours pas arrêté leurs projets de revitalisation…

Des maux profonds

Des délais qui laissent peu de temps pour se réinventer, faire de la politique et imaginer ce à quoi pourrait ressembler un redémarrage des centres-villes conjugué à un rééquilibrage de la politique française d’aménagement du territoire ! Il y a urgence. Place à l’action, c’est-à-dire à la reprise de chantiers et à l’injection de liquidités dans les entreprises de BTP. Une vision de court-terme que ne renie pas la maire (LR-LREM) de Beauvais et présidente de l’ANCT, Caroline Cayeux. « Cette crise met en lumière des fractures sociales, numériques, éducatives, sanitaires contre lesquelles il nous revient collectivement de lutter (…) Les programmes de l’ANCT sont un levier pour y faire face et, j’en suis persuadée, un instrument essentiel de la relance » assume celle qui dirige aussi l'association Villes de France, sans s'attarder sur la méthode pour enrayer cette spirale négative et attirer à nouveau des habitants. Sujet moins noble s'il en est.

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Dans ce monde habituellement si feutré, quelques voix commencent ainsi à se faire entendre, craignant que l’ambitieux programme d’Action cœur de ville ne soit dilué dans un plan de soutien du BTP. Quels services publics faut-il maintenir ou développer pour juguler le déclin démographique des centres-villes ? Quelle part de logements sociaux faut-il réserver en centre-ville aux « travailleurs essentiels » mis en lumière durant la crise sanitaire ? Comment aider les industries locales à répondre à leurs difficultés de recrutement ? Comment aider les commerces indépendants à devenir plus résilients, demain ? Quels équilibres commerciaux trouver pour atténuer les concurrences et rivalités entre petits commerces et zones commerciales périphériques ? Comment s’y prendre pour que la potentielle désaffection vis-à-vis des grandes villes ne profite pas qu’aux lotisseurs bétonnant les terres agricoles des première et seconde couronnes des villes moyennes ? Qui paiera les « charges de centralité », le coût de fonctionnement des services publics de la ville-centre dont bénéficient les habitants du périurbain ? Autant de questions à se poser dès maintenant pour que la « crise du modèle métropolitain » que certains annoncent débouchent effectivement sur la « revanche des villes moyennes. » Si investir 5 milliards d'euros aidera le secteur du BTP en crise, rien ne dit que l'impact de cette somme sur la politique d'aménagement du territoire soit ainsi maximisée.

Travaux cosmetiques ou amélioration des services publics ?

Le maire (PCF) de Vierzon attend, pour sa part, un véritable changement de paradigme de l’Etat central. Que les structures étatiques « acceptent de ne pas miser uniquement sur Paris et les métropoles, de ne plus fermer les formations d’enseignement supérieur dans nos villes moyennes et de recentraliser coûte que coûte les centres et laboratoires de recherche dans les capitales régionales » illustre concrètement Nicolas Sansu, qui bataille actuellement avec la DGFIP pour l’installation d’une antenne dans sa ville.

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« Il est temps que l’Etat montre qu’il est présent sur les grands services publics. Il ne doit plus essayer d’acheter la fermeture d’un service d’hôpital, d’une maternité ou du tribunal contre le plan Action Cœur de ville et la réfection d’une belle place du centre-ville avec un beau jet d’eau… Je préfère que l’Etat investisse 10 ou 20 millions d’euros dans la rénovation du commissariat ou la consolidation d’un hôpital digne de ce nom, à même d’attirer de jeunes familles en ayant marre de la vie parisienne, à un plan prévoyant de jolies places pour que Vierzon meurt dignement ! Je ne demande pas l’aumône, je demande simplement que l’Etat assume du mieux possible ses missions régaliennnes dans une petite ville comme la nôtre » assène Nicolas Sansu.

Quand la presse immobilière lit dans une boule de cristal

Des Echos au Monde en passant par La Tribune, la revue Investir, Mieux vivre votre argent ou Le Point, les articles sur la « crise du modèle métropolitain » et « la revanche des villes moyennes » se sont multipliés ces dernières semaines. Le site d’annonces immobilières Se loger fait également part de ses spéculations au grand public. « En poussant les Français à revoir leurs priorités, le Covid-19 pourrait-il mettre un coup d’arrêt à la métropolisation de la croissance, cette tendance qui fait que, les emplois étant majoritairement créées dans les grandes villes, les Français désertent les zones rurales ? Sont-ce là les prémices d’un basculement du centre de gravité du pays ? Il est encore trop tôt pour le dire mais le Covid-19 pourrait bien rebattre les cartes du marché immobilier hexagonal… » y écrit ainsi le "responsable éditorial" de Se Loger, Xavier Beaunieux...

Tous évoquent un regain d’intérêt pour « la province », « les zones rurales et les villes moyennes », ainsi qu’une « néo-tendance » plébiscitant la « maison individuelle » sur la foi de sources intéressées (hôtes, agents immobiliers), ainsi que de témoignages ou d’exemples individuels. Sans prendre la peine de mener d’enquête contradictoire ni de s’attarder sur les difficultés de ces territoires et les défis – nombreux – qu’il leur reste à relever pour que leurs doux rêves aient ne serait-ce qu’une chance de se concrétiser. 

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