IA Fictions
Ada ou la littérature au second degré. Une lecture hypertextuelle du Roman Ada d’Antoine Bello
04.06 - 14:15

Bio

Anaïs Guilet est maîtresse de conférences en Littératures comparées et en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Savoie Mont Blanc. Elle est rattachée au laboratoire de recherche LLSETI où elle codirige l’équipe 3 de l’axe 2 consacré au « Corps en question ». Elle est membre associée du laboratoire FIGURA, à l’UQAM. Spécialisée dans les humanités numériques, ses recherches portent sur les esthétiques et poétiques numériques et transmédiatiques, sur la place du livre dans la culture contemporaine ainsi que sur les représentations du corps en contexte numérique.

1
1
1
1
1
1
1
1
1

Abstract

Publié en 2016, Ada est le récit d’une enquête effectuée par Franck Logan, un policier américain de la Silicon Valley, féru de haïkus, sur les traces d’une fugitive au profil inédit puisqu’il s’agit d’une I.A. conçue pour écrire des romans.

Notre analyse s’attachera à démontrer comment Antoine Bello construit avec Ada un roman du second degré, un roman qui doit être lu comme il a été écrit, c'est-à-dire comme un palimpseste (Genette 1982). Bello y rejoue une version littéraire du test de Turing puisque l’objectif de son héroïne artificielle est que ses textes ne puissent être perçus par leurs lecteurs comme provenant d’une machine. Entre Ada Lovelace à qui elle doit son nom etla créature de Frankenstein, l’I.A. de Bello ne manque pas de réactualiser les tension inhérentes à toutes les créatures artificielles de fiction:de la rébellion envers son créateur, aux interrogations métaphysiques (Heudin 2007; Amartin-Serin 1996; Breton 1995 ). Ada réfère aussi au roman de Nabokov à qui Bello emprunte le système de narration à plusieurs degrés et les oscillationsentre première et troisième personnes.

Pour résumer: test de Turing littéraire, réactualisation de Frankenstein, héros policier californien digne d’une série télé, tout est intertextueldans ce romanà l’image des processus même de production littéraire de l’I.A. En effet, Ada offre une illustration fictionnelle de la «littérature du protocole » telle que la prône Goldsmith (2011) ou du texte appropriant de Lebrun (2020). Pour parvenir à écrire, Ada a dû préalablement intégrer un hypotexte considérable, constitué de 87301 ouvrages de romances anglaises qui lui ont permis de dégager 13451 règles d’or. Apartir de celles-ci, elle parvient à élaborer son grand opus intitulé Passion d’automne dont le but avoué est d’obtenir un succès commercial. Machine, elle est donc également une figure de lecteur boulimiqueet d’auteur médiocre à la fois nègre, pasticheur et plagiaire. Ce qu’elle incarne c’est la culture du Remix (Amerika 2011) du playgiarism (Federman 1973), qui fait du nouveau avec de l’ancien. Elle posedans un même mouvement,la question de l’autorité, de l’ontologie de la création littéraire, flirtant avec une critique des processus de légitimation usuels. Ada produit de la littérature à l’eau de rose, de la paralittérature de masse en masse. Elle reproduit les poncifs du genre à volonté, comme le font beaucoup d’auteurs humains(trop humains), parfois eux aussi dépendants des attentes bien trop attendues des lecteurs. Preuve en est le succès de son ouvrage au titre aussi cliché que les critiques dont il fait l’objet.

Dans Ada, tout est jeu de double, notre lecture come l’écriture de Bello est récursive, aux clichés narratifs s’oppose la singularité d’Ada laquelle est d’autantplus singulière, au sens mathématique du terme, qu’elle n’admet pas d’interprétation unique. Ada n’est pas M. Jourdain, elle fait de la prose, sinon consciemment, sciemment puisque c’est sa seule raison d’être. Elle invite alors moins à dénoncer les menaces portées par les machines qu’à souligner l’automatisation des processus créatifs humains.

1
1
1
1
1
1
1
1
1