À la rencontre de stylistes palestinien-nes qui persévèrent dans la célébration de leur culture par la mode

Par Nadine Kahil, le 31 août 2021

La mannequin et styliste Sharon Rose habillée par Dar Noora

Quand on entend le mot Palestine, une pléthore d’images vient à l’esprit. Le territoire et son peuple continuent à souffrir et à endurer quotidiennement des indignités indescriptibles ; des scènes qui laissent peu de place à l’espoir. Et pourtant, au cœur de la souffrance existe une remarquable communauté créative de stylistes. Ils célèbrent la culture palestinienne en donnant vie à la mode, une mode qui défend un esprit de persévérance et de détermination.

Gigi Hadid portant une veste Chanel en tissu de style keffieh, en l’honneur de la journée mondiale du keffieh. Photo : Getty

Cette nouvelle vague de créativité gagne en attractivité sur la scène internationale, avec des personnalités telle que la femme politique étatsunienne Rashida Tlaib vêtue d’une robe palestinienne lorsqu’elle a prêté serment au Congrès et la Reine Rania de Jordanie vêtue d’un caftan bleu brodé de broderies palestiniennes de Dar Noora. La réalisatrice nominée aux oscars, Farah Nabulsi et les sœurs mannequins Gigi et Bella Hadid sont aussi connues pour porter des marques palestiniennes ou s’envelopper d’un keffieh pour souligner leur origine culturelle et attirer l’attention sur la Palestine et son peuple. La vague de popularité de la création palestinienne est souvent plus qu’un phénomène de mode, elle se fonde sur un désir de prendre position.

Ici, VogueArabia s’adresse aux stylistes palestinien-nes au sujet de leur travail et des défis auxquels ils sont confrontés.

Hind Hilal

Hind Hilal (à droite) avec la musicienne palestinienne Maysa Daw. Photo : Julie Dakwar

Vivant sous occupation, Hind Hilal s’est battue pour créer sa collection de prêt-à-porter éponyme. Hilal a étudié le design architectural lorsqu’elle a découvert qu’il n’y avait pas de diplômes de mode proposés en Palestine ; pour autant, elle a rapidement décidé de suivre ses rêves et de créer ses premiers modèles. Les pièces de Hilal parlent de force et de féminité et elles créent un équilibre entre structure et fluidité par la forme, le flux, les niveaux et le volume. Chaque pièce est conçue et fabriquée selon des pratiques respectant l’écologie et une approche éthique. Des retards imposés par les checkpoints, le manque de ressources et la concurrence avec les marques israéliennes sur le marché du travail sont à la base d’innombrables problèmes, mais la marque de Hilal continue à se développer. « Être créative en vivant sous occupation est un défi quotidien. Créer quelque chose d’authentique et qui ait suffisamment de poids avec si peu, pour aller plus loin, est devenu ma façon de résister et d’exister comme Palestinienne et comme styliste, malgré toutes les limites » dit Hilal.

La femme politique étatsunienne, Rashida Tlaib, vêtue d’une robe palestinienne le jour où elle a prêté serment au Congrès. Photo : Getty

Dar Noora

Noora Khalifeh. Photo : Julie Dakwar

Noora Khalifeh a créé Dar Noora pour combiner ses passions pour la mode contemporaine et le tatriz palestinien, une forme de broderie séculaire. Inspirée par le magasin de souvenirs du père de Khalifeh dans la Vieille Ville d’Al-Qods, Dar Noora est un témoignage de vues, de sons et d’expériences dont sa créatrice s’est délectée dans l’enfance. Dar Noora apporte une vision moderne à un design classique et Khalifeh travaille avec des femmes sur place – « celles qui travaillent à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem, qui font de la couture et sans lesquelles Dar Noora serait incomplète ». L’utilisation du tatriz dans ses modèles suggère d’autres possibilités. « Il y a une riche opportunité d’ouvrir et d’étendre une activité de mode palestinienne unique » dit-elle. « Cela contrebalancerait le modèle typiquement étranger de développement économique et de développement de capacités propres, par une alternative biologique, endogène, qui défend la création d’emplois, dont les Palestiniens seraient très fiers ».

La reine Rania de Jordanie en Dar Noora. Photo : Alamy

Suzy Tamimi

Suzy Tamimi. Photo : Wish Thanasarakhan

Fille d’immigrants palestiniens aux États Unis, installée à New York, Suzy Tamimi est attirée depuis longtemps par le textile palestinien. « J’ai toujours ressenti un lien profond avec mes racines palestiniennes. La Palestine a toujours été vivante dans mon cœur, c’est comme chez moi » dit-elle. Sa dernière collection fusionne des tissus traditionnels et des éléments de design avec des concepts contemporains pour créer une allure pratique, simple et sportive. Tamimi utilise le tatriz à dessein. « Je choisis le tatriz comme arme pour faire prendre conscience de la beauté de la Palestine et la partager », dit-elle. « Le tatriz en soi est une preuve de notre existence, en particulier les pièces anciennes en lambeaux que j’ai collectées – elles représentent la fabrication palestinienne. Nous avons constamment tenté, et nous tentons toujours, de défendre notre existence et cette broderie rappelle que nous existons », dit-elle. Elle considère chaque création comme une petite victoire : l’apport d’éléments traditionnels dans un espace contemporain assure la perpétuation du patrimoine palestinien et aide à dire l’histoire de la Palestine.

Jeune femme de Bethléem portant une coiffe traditionnelle et une robe brodée, début du 20è siècle. Photo : Getty

Mode trash

Omar Braika (à gauche) et Shukri Lawrence de Trashy Clothing avec la mannequin Fouz Musse. Photo : Hiba Nabulsi

Trashy Clothing est une marque de prêt-à-porter palestinienne créée par Shukri Lawrence et Omar Braika, ainsi nommée pour symboliser qu’ils ont dû démarrer « de zéro ». Produisant en dehors de Palestine et de Jordanie, ils travaillent dur à la réduction des déchets, à maximiser l’efficacité et à vaincre les obstacles. « Nous faisons des échantillons digitaux de nos collections avant de lancer la production ; nous pouvons voir à l’écran les mouvements du textile et réduire en même temps le gaspillage de tissu d’échantillonnage » a confié Braika. « Avec toutes les restrictions que nous avons nous Palestiniens, nous avons utilisé internet à notre avantage depuis que nous nous sommes lancés ». Leurs pièces parlent à la fois de beauté et de souffrance et elles symbolisent la capacité des Palestiniens à surmonter les épreuves. Avec des références aux vêtements de travail, au clubwear, aux vêtements de sport, aux icônes pop arabes et aux tenues de soirée, chaque collection présente un thème et un sujet dans l’esprit de l’anti-mode. Son mélange de satire politique, de kitsch, de culture et d’humour, cherche à positionner la marque durablement sur l’identité arabe et palestinienne en jouant sur l’idée de ce qui est considéré « bon marché » ou « vulgaire » dans la société actuelle.

Lire aussi : « C’est le reflet, plus globalement, de la souffrance palestinienne » Farah Nabulsi, réalisatrice palestinienne du film lauréat du Bafat et nominé aux Oscars.

Publication originale dans le numéro de septembre 2021 de Vogue Arabia

Style: Sharon Rose, Mauricio Quezada
Coiffure et maquillage: Lara Hodaly, Hany Ardat
Assistante photo: Majdy AB

Traduction SF pour l’Agence Média Palestine

Source : Vogue Arabia

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