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Ceci Ă©tant posĂ©, reprenons le contexte gĂ©nĂ©ral en quelques mots. TFR - pour "Transfer of Funds Regulation" - est un rĂšglement qui dĂ©finit les informations qui doivent ĂȘtre transmises entre entitĂ©s financiĂšres lorsque des fonds circulent ("Travel Rule"). Lâobjectif est dâamĂ©liorer leur traçabilitĂ© au niveau mondial. Le projet de rĂ©vision en discussion Ă©tend le champ de lâobligation aux crypto-actifs.
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Obligations trĂšs contraignantes pour les entreprises du secteur
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Ce nâest pas Ă©tonnant car le GAFI (FATF en anglais), organisme de normalisation international trĂšs influent en matiĂšre de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), avait prĂ©conisĂ© cette extension dĂšs 2019, avec une rĂ©vision en 2021. Nous - lâAdan - avions dĂ©jĂ alertĂ© sur le possible Ă©largissement de ces rĂšgles aux wallets et aux transactions pair Ă pair et le GAFI avait sagement laissĂ© de cĂŽtĂ© ces problĂ©matiques pour un autre temps.
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La version initiale du texte prĂ©parĂ© par la Commission Ă©tait trĂšs mesurĂ©e et en ligne avec les recommandations du GAFI, en soumettant les prestataires (futurs CASP europĂ©ens) Ă lâobligation de Travel Rule sans leur imposer des vĂ©rifications exorbitantes des informations et sans toucher aux flux pair Ă pair et aux portefeuilles personnels.
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ConsidĂ©rant cette mesure comme une faiblesse, certains dĂ©putĂ©s europĂ©ens ont dĂ©posĂ© des amendements pour Ă©tendre fortement le champ des obligations, en obligeant les entreprises Ă collecter de trĂšs nombreuses informations additionnelles, notamment sur les wallets personnels, et Ă les vĂ©rifier extensivement. Ils ont Ă©galement supprimĂ© le seuil de 1.000 euros sous lequel les vĂ©rifications nâĂ©taient pas imposĂ©es. Certains dĂ©putĂ©s sont mĂȘme allĂ©s plus loin en tentant dâinterdire les retraits vers des portefeuilles personnels !
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Volonté de "ré-intermédier" les flux
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Ces amendements sont cohĂ©rents dans la logique qui prĂ©vaut gĂ©nĂ©ralement en matiĂšre de LCB-FT. Il sâagit essentiellement dâidentifier les intermĂ©diaires pertinents et de leur imposer des collectes et vĂ©rifications diverses ainsi quâun signalement de tout flux suspect. Les crypto-actifs viennent perturber cette logique en supprimant ou transformant le rĂŽle de nombreux intermĂ©diaires.
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Un rĂ©flexe assez naturel du dĂ©cideur politique est alors de chercher Ă ârĂ©-intermĂ©dierâ les flux, en imposant des obligations encore plus significatives quâaux acteurs bancaires et en limitant voire interdisant les flux dĂ©sintermĂ©diĂ©s. Il sâagit cependant dâune vision Ă courte vue, qui ne prend pas en compte les opportunitĂ©s de surveillance permises par la traçabilitĂ© des transactions crypto, mais aussi et surtout que cette dĂ©sintermĂ©diation est la proposition de valeur principale des crypto-actifs et une composante essentielle de leur fonctionnement.
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La trĂšs grande majoritĂ© des usages utiles des crypto-actifs sont rĂ©alisĂ©s Ă partir dâun portefeuille personnel. Jâavance mĂȘme quâun bitcoin, un ether qui ne peut circuler sans intermĂ©diaire deviendrait profondĂ©ment inutile, un pur objet de spĂ©culation. En voulant se protĂ©ger des usages illicites, les lĂ©gislateurs facilitent ici la spĂ©culation pure par rapport aux usages concrets, quâils soient financiers (DeFi), artistiques ou culturels (NFT), communautaires (DAOs) ou en matiĂšre d'identitĂ© numĂ©rique⊠Des usages pourtant Ă©tudiĂ©s et financĂ©s par ailleurs par la Commission et dâautres institutions europĂ©ennes.
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Texte trÚs menaçant pour l'écosystÚme et les utilisateurs
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Malheureusement, la version de compromis qui a Ă©tĂ© votĂ©e par les Commission ECON et LIBE du Parlement a repris une grande partie de ces nouvelles mesures. Ces obligations exorbitantes risquent dâobĂ©rer profondĂ©ment la compĂ©titivitĂ© des acteurs europĂ©ens par rapport Ă leurs concurrents. Le volume dâinformation Ă traiter pourrait mĂȘme les dĂ©courager Ă autoriser des retraits vers les portefeuilles personnels⊠et interdire aux EuropĂ©ens lâusage concret de leurs crypto-actifs.
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Le TFR est donc devenu un texte trĂšs menaçant pour lâĂ©cosystĂšme et les usages des utilisateurs au jour le jour. Et in fine, pour la souverainetĂ© numĂ©rique de lâEurope.
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Cependant, le texte nâest pas finalisĂ©. AprĂšs cette phase de compromis au niveau du Parlement, câest lâensemble des institutions europĂ©ennes - Parlement, Commission, Conseil de lâUnion europĂ©enne - qui se mettent dâaccord pour concevoir la version finale du texte - on parle des âTriloguesâ.
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Encore possible de se faire entendre
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Il reste donc des opportunitĂ©s de faire entendre la voix de lâindustrie et des utilisateurs.
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Depuis la prĂ©sentation du texte en juillet 2021, lâAdan travaille activement - avec son Groupe de travail dĂ©diĂ©, ses membres et ses partenaires en lâEurope - Ă faire entendre une voix pragmatique et constructive. LâAssociation porte ainsi depuis plusieurs mois sa position gĂ©nĂ©rale sur la rĂ©forme, et a inscrit au cĆur de lâagenda de la prĂ©sidence française de lâUE la nĂ©cessitĂ© que cet encadrement - pour quâil soit rĂ©ellement efficient - se saisisse des opportunitĂ©s technologiques et encourage le dĂ©veloppement dâun secteur rĂ©silient et compĂ©titif.
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En effet, la lutte contre la criminalitĂ© financiĂšre ne peut pas ĂȘtre une lutte contre les crypto-actifs, mais doit au contraire compter sur des champions français et europĂ©ens qui pourront la promouvoir. Ces prochains mois, lâenjeu sera donc de restaurer une rĂ©glementation efficace mais Ă©quilibrĂ©e, respectueuse de la vie privĂ©e des citoyens, favorable Ă lâinnovation. Il sera aussi crucial de renouer un dialogue Ă©cornĂ© avec ceux qui dĂ©cident aujourdâhui du sort de lâindustrie.
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Ă cette fin, il est plus que jamais nĂ©cessaire que le secteur soit uni, structurĂ© et constructif : vous pouvez lâĂȘtre avec nous!