Cinéma

Pourquoi Jeanne Dielman de Chantal Akerman est le meilleur film de tous les temps

C’est la première fois qu’une réalisatrice se hisse au sommet du palmarès de Sight and Sound.
JEANNE DIELMAN 23 QUAI DU COMMERCE 1080 BRUXELLES Delphine Seyrig 1975
JEANNE DIELMAN, 23, QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES, Delphine Seyrig, 1975Courtesy Everett Collection

Véritable séisme dans le microcosme culturel, Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles, réalisé en 1975 par Chantal Akerman, a été sacré meilleur long-métrage de tous les temps. Établi par le British Film Institute (peu ou prou l’équivalent de la Cinémathèque française), le classement récompense, chaque décennie, les 100 meilleurs films de l’histoire. Sur les bancs des jurés ? Plus de 1600 critiques de cinéma, universitaires, distributeurs, écrivains, conservateurs, archivistes et programmeurs. Rien que cela.

Des gestes récités comme une litanie subtile et entêtante

Veuve depuis dix ans, Jeanne Dielman (Delphine Seyrig) est mère au foyer. Tous les jours, elle répète inlassablement les mêmes tâches : ménage, toilette, repas, vaisselle… Pour arrondir ses fins de mois, la ménagère reçoit des "clients", plus ou moins fringants, plus ou moins jeunes. Un jour pourtant - de manière insidieuse et cataclysmique - son schème répétitif se dérègle… Ici, l’essentiel jouxte le trivial. Dans cette oeuvre charnière, Chantal Akerman filme ce que le cinéma, d’ordinaire, répugne à figurer : les lois (immanentes et transcendantes) qui régissent nos sociétés contemporaines et les servitudes qui en découlent. Sur le plan métaphysique, la cinéaste dit l’imminence du chaos, qui menace toujours l’ordre immuable de la répétition. 

Rencontre d'un sujet et d'une forme inédits, Jeanne Dielman 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles n’est ni un manifeste féministe, ni un pamphlet sociologique comparable à Deux ou trois choses que je sais d’elle, de Godard. "Pour Chantal Akerman, il ne s’agit pas d’illustrer ou d’accompagner Jeanne, mais de la regarder en face, de montrer ses actions quotidiennes et la façon qu’elle a d’habiter l’espace" souligne Corinne Maury, maîtresse de conférences en esthétique du cinéma. Le regard dessillé de la cinéaste vivisecte, sans emphase ni pathos, le triste quotidien d’une quidam névrosée. Faire griller une escalope, peler des pommes de terre, se coiffer avec soin devant une glace… Une réalité prosaïque qui devient, subitement, digne d'être regardée.

Hiérarchie secouée

En 2012, lors de la dernière délibération de Sight and Sound, Chantal Akerman et Claire Denis (pour Beau travail) étaient les deux seules réalisatrices à figurer dans le classement du British Film Institute. Elles sont aujourd’hui neuf ; en tête de liste, après Chantal Akerman : Agnès Varda (Cléo de 5 à 7 et Les Glaneurs et la Glaneuse), puis Maya Deren (Meshes of the Afternoon), Vera Chytilová (Les Petites Marguerites), Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu), Barbara Loden (Wanda), Jane Campion (Le Piano), et Julie Dash (Daughters of the Dust). Dix-neuf longs-métrages sont sortis du répertoire cette année, dont deux films de Renoir (La Grande Illusion et Partie de campagne) et Chinatown de Roman Polanski. Un verdict qui fracture l’intelligentsia cinématographique, mais qui a le mérite de faire briller Chantal Akerman, au-delà de Jeanne Dielman…

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